La protection sociale française après la Covid-19 : un « livre blanc » de la crise sanitaire par les anciens auditeurs de l’Institut des Hautes Études de Protection Sociale

L’association des anciens auditeurs de l’IHEPS (AAIHEPS) a souhaité alimenter les débats sur les orientations de la protection sociale de demain et les projets de réforme qu’elles impliquent. Nicolas Mitjavile, auditeur du cycle 10 et président de l’Association des anciens Auditeurs de l’IHEPS revient sur cet exercice de diagnostic qui se veut lucide sur notre système de protection sociale et a donné lieu à l’édition d’un « livre blanc ».

Qu’est-ce qui vous a conduit à la publication du livre consacré à « La protection sociale française après la COVID 19 : épreuves d’un système ancien et opportunités d’un nouveau modèle » ?

L’association des anciens Auditeurs de l’Institut des Hautes Études de Protection Sociale regroupe aujourd’hui près de cinq cents membres qui sont naturellement des ambassadeurs de la protection sociale française.

Cela suppose qu’ils puissent par exemple participer à l’organisation de colloques et débats ou encore contribuer comme « think tank » à des réflexions sur toutes les questions de fond qui se posent dans le vaste domaine de la protection sociale.

Il était donc très naturel que je propose au conseil d’administration de l’association ainsi qu’à l’ensemble des membres de notre association de participer à une réflexion sur l’événement majeur de la crise sanitaire de la Covid 19.

C’était cependant une première pour notre association et je souhaitais pouvoir tester si la force d’un réseau de près de cinq cents professionnels exerçant leur activité dans tous les domaines permettait de conduire ce type de travail. Ce qui fait la force et la particularité de notre réseau par rapport à d’autres think tank c’est son ancrage professionnel et sa grande diversité et donc, sa capacité d’intelligence collective.

Après mon appel, j’ai cependant eu la satisfaction de constater que notre réseau répondait présent. Près de quarante volontaires se sont manifestés pour participer à la réflexion, soit près de 10% des membres de l’association. Je les en ai félicités et remerciés. Je ne le ferai jamais assez !

Comment avez-vous organisé le travail collectif des anciens auditeurs de l’IHEPS sur ce projet, et quelles en sont les retombées ?

Nous étions en période de confinement, les échanges devaient se faire en distanciel, et, pour la plupart, les bénévoles qui avaient suivi les cycles de l’IHEPS de plusieurs promotions ne se connaissaient pas. Après avoir sollicité l’avis des membres du conseil d’administration et de la direction de l’IHEPS sur ce que pourrait être le cahier des charges, nous avons formé un comité rédactionnel, défini un plan du rapport et formé des groupes de travail thématiques correspondant aux chapitres de ce plan. Nous avons ensuite demandé aux bénévoles de choisir les groupes de travail ou thématiques auxquelles ils souhaitaient contribuer. Nous n’avons pas voulu être plus directif. Nous étions de toute façon assurés que la diversité des profils de notre réseau et des bénévoles permettait que le primat de l’intelligence collective soit partout au rendez-vous dans les groupes de réflexion et de rédaction thématiques.

Ensuite, les groupes ont été invités à désigner des rapporteurs et rédacteurs, un retro- planning a été établi avec l’intention de pouvoir diffuser le rapport au temps fort de l’examen du PLFSS.

La diffusion a été assurée sous forme d’un rapport en édition papier et d’une version numérique adressés aux élus de la Nation (députés et sénateurs, membres du CESE), ministres et dirigeants des grands organismes de la protection sociale, syndicats, think tanks, journalistes…

Bien que le diagnostic et les propositions de notre rapport soient souvent d’une lucidité exigeante, voire sévère, notre rapport a été lu et unanimement apprécié. Les nombreux messages d’élus et de « grands noms » du secteur de la protection sociale que nous avons reçus ont toujours été élogieux.

Nous pouvons nous féliciter d’avoir eu foi dans les vertus de l’intelligence collective et de la coopération étroite et confiante entre l’IHEPS, l’EN3S et notre association d’anciens auditeurs.

Quelles sont les points saillants à retenir de cet ouvrage ?

Nous avions prévu d’établir un diagnostic assez court assorti de propositions d’un caractère le plus opérationnel possible. Nous savions combien les destinataires habituels de ce type de travaux sont « submergés » par la réception de nombreux rapports, pas toujours tournés vers l’action.

Notre rapport comprend soixante-neuf propositions réparties autour de huit axes correspondant à notre analyse.

Une attention toute particulière était portée, tant dans le diagnostic que dans ces propositions, à la nécessité de revoir notre système de santé de l’amont (prévisions, benchmark, politiques de prévention) jusqu’à l’aval (politiques d’évaluation et de retours d’expérience sans concession), en passant par les maillons faibles des politiques de prévention des risques sanitaires trop peu développées et de l’évolution nécessaire de l’organisation lourde, trop focalisée sur les aspects budgétaires plus que stratégiques et de son pilotage peu agile.

Quels sont les futurs projets de l’AAIHEPS ?

Forts de ce premier rapport, nous souhaitons continuer à œuvrer en publiant chaque année au moins une contribution sur une question importante du vaste domaine de la protection sociale.

Nous avons commencé à réfléchir à un thème pour 2021 au sein de l’association et avec la direction de l’Institut. Nous pensons à plusieurs sujets. L’un d’entre eux pourrait faire le lien avec le rapport sur la protection sociale française à l’épreuve de la crise Covid : celui de la prévention. Mais, rien n’est encore décidé.

Avec la collaboration de l’IHEPS et pour faire vivre le réseau des anciens auditeurs, nous avons prévu d’organiser des conférences-débats, des visites de terrain et chaque année, nous aimerions pouvoir organiser un colloque à ouvrir aux membres de l’association et à d’autres publics.

Le droit du citoyen à l’information sur sa retraite : une amélioration inéluctable…

 

Le droit à l’information sur la retraite (DAI), créé en 2003, illustre la capacité des administrations à se coordonner pour gommer leur complexité aux yeux du public. Deux leviers sont à l’oeuvre pour l’amélioration continue de ce service public, qui constituent autant de défis : la mutualisation des moyens informatiques et organisationnels ainsi que le renforcement des droits des individus sur leurs données. L’évolution vers une protection sociale plus fongible et transparente est inéluctable.

 

Retrouvez l’article d’Elise Debiès, directrice de l’Institut des hautes études de protection sociale (IHEPS) et des relations internationales de l’EN3S de la Revue de droit sanitaire et social (RDSS) n°1037, novembre – décembre 2020 – Dalloz.

Quelques leçons à tirer pour l’avenir de notre système de santé, Claude Evin

La crise sanitaire nous oblige à repenser certains sujets auxquels notre système de santé est confronté.

Avoir une vision prospective

La situation actuelle n’avait pas été anticipée. Des décisions, prises au fil des ans, ne se sont pas avérées pertinentes. Nous disposons pourtant d’une multitude de « Hauts comités » et de « Conseils » tous composés d’experts compétents, mais nous manquons d’analyse prospective globale pour anticiper les enjeux. Notre système de santé est constitué d’une multitude d’acteurs qui sont tous convaincus de leur rôle spécifique. Nous manquons d’appréciations partagées entre tous ces acteurs. Nous ne disposons pas d’un lieu dans lequel tous les intervenants peuvent se confronter, s’approprier les positions qui font consensus et les porter dans le débat public. Nous avons besoin d’un Haut conseil de la prospective en santé capable de formuler des recommandations et de les médiatiser afin qu’elles alimentent ce débat et les décisions du politique.

Repenser le niveau régional

L’organisation administrative régionale de l’organisation des soins et de la gestion de crise est questionnée. Les agences régionales de santé sont mises en cause. Dix ans après leur création, il faut faire un bilan de leur fonctionnement, de leur relation avec des directions d’administration centrale du ministère trop cloisonnées comme avec les autres autorités régionales. Pour autant, méfions-nous de certaines facilités. Revenir à la situation antérieure où leurs missions étaient assurées sous la tutelle des préfets n’y gagnerait pas nécessairement en agilité administrative. Il faudra renforcer les liens entre les élus régionaux et les ARS, mais confier aux régions l’entière responsabilité de l’organisation des soins, nécessiterait de leur en confier aussi les conséquences budgétaires et revoir les modalités actuelles de financement par l’assurance maladie. Les exemples de l’Italie ou de l’Espagne, et même des Landers allemands, où l’organisation des soins est régionalisée, nous montrent combien cette organisation présente aussi des fragilités.

Faire des choix de priorités

La diminution du nombre de lits hospitaliers au cours de ces dernières années est aujourd’hui critiquée. Avons-nous été trop loin ? Nous pourrons nous reposer la question. Mais doit-on disposer dans tous les établissements de santé d’une capacité supérieure aux besoins courants pour faire face à une éventuelle crise ou ne doit-on pas avoir une organisation permettant de répondre à des situations imprévisibles ? Retenons aussi de cette crise que, dans des conditions certes difficiles, notre système a su s’adapter. Il faudra faire des choix pour assurer les financements à venir. La revalorisation des rémunérations à l’hôpital et dans le secteur médico-social est une priorité, pas seulement pour honorer un personnel qui s’est dépensé sans compter, mais parce que les insuffisantes rémunérations ne rendent pas ces carrières attractives. Mais nous aurons aussi besoin d’investir en matériel ou en immobilier dans certains hôpitaux et pour rénover les EHPAD. Or, tout le monde ne peut pas tout faire et le faire bien. Cette crise aura confirmé qu’entre établissements publics et établissements privés, il était possible de travailler ensemble au bénéfice de la population. Dans un contexte de tension budgétaire auquel nous n’échapperons pas, il nous faudra trouver dans de nouveaux partenariats entre le secteur public et le secteur privé des opportunités pour inventer l’avenir.

Claude Evin est avocat, ancien ministre de la santé et ancien directeur général de l’agence régionale de santé d’Ile de France

Le modèle social danois et ses enjeux actuels : retour sur le voyage d’étude du 10ème cycle de l’IHEPS

Chaque cycle IHEPS est l’occasion d’un voyage d’études dans un ou plusieurs pays étrangers. Ces voyages d’études sont autant d’occasions de découvrir d’autres modèles de protection sociale.

Le voyage du 10ème cycle de l’IHEPS s’est déroulé au Danemark. Ce voyage a donné l’occasion d’écrire dans la revue Regards sur le modèle social danois et ses enjeux actuels.

Le Danemark se caractérise par un modèle social axé sur l’intégration par le travail et fortement imbriqué à la citoyenneté et à l’identité danoises. Ce modèle social a par ailleurs souvent été cité en exemple, tant en France que dans l’ensemble de l’Europe. Pourtant, les Danois, eux-mêmes, insistent sur l’unicité de leur modèle social et sa difficile transposition à l’identique dans d’autres pays. Le modèle social danois tel qu’il s’est construit dans les années 1990 pour faire face à un taux de chômage en hausse a depuis évolué, fait également face à des défis assez similaires à ce que connait la France comme le vieillissement ou l’égalité entre les femmes et les hommes. La crainte du « passager clandestin » qui profiterait du modèle social a également participé à certains infléchissements des politiques sociales. Quels sont alors aujourd’hui les principaux enjeux de ce modèle ?

Cet article se propose de revenir que l’équilibre entre flexibilité et sécurité et s’interroge sur la question de savoir si tous les citoyens profitent véritablement de ce modèle social.